ÊTRE CANADIEN à PARIS ET AVOIR HONTE

C’est un véritable cauchemar. Une honte. La réputation du Canada sur la scène sportive internationale n’a jamais valu aussi peu depuis le scandale de dopage de Ben Johnson à Séoul. En fait, cette réputation vaut-elle encore quelque chose?

Le réseau TSN a confirmé jeudi que les actes d’espionnage commis ces derniers jours par le personnel d’entraîneurs de l’équipe canadienne n’était pas un incident isolé. Plusieurs sources ont révélé au réseau torontois qu’au contraire, il s’agissait d’une pratique courante depuis plusieurs années, tant au sein des programmes masculin que féminin.

Pire encore, l’extraordinaire conquête de la médaille d’or de l’équipe féminine à Tokyo aurait été facilitée par cette tricherie institutionnalisée. Même chose pour le processus de qualification de l’équipe masculine à l’occasion de la dernière Coupe du monde.

Selon le confrère Rick Westhead, cette pratique était à ce point ancrée dans les mœurs que les membres du personnel de soutien qui refusaient les tâches reliées à l’espionnage étaient tout simplement écartés du programme.

En conséquence, les dirigeants de Canada Soccer ont annoncé la suspension de la sélectionneuse Bev Priestman. Cette dernière sera remplacée par l’entraîneur adjoint Andy Spence. Quant au COC, il a pris acte de cette décision de Canada Soccer en annonçant que Priestman avait été renvoyée au pays.

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Le COC avait pris un râteau en pleine face mercredi quand les médias du monde entier avaient rapporté qu’un analyste de l’équipe féminine s’était fait arrêter par la police française. Maintenant, on peut arguer que le Comité olympique canadien a doublé la mise en se servant lui-même un coup de marteau dans le front.

Mercredi dernier, les dirigeants du COC avaient fait mine de croire l’invraisemblable. Ils avaient jeté deux entraîneurs adjoints sous l’autobus en les renvoyant au Canada. Et ils avaient mis leur propre réputation sur le billot en disant croire que la sélectionneuse Bev Priestman ignorait que son personnel avait filmé deux entraînements de l’équipe de Nouvelle-Zélande.

C’était douloureux de voir deux hommes intelligents, le PDG David Shoemaker et le chef du Sport Éric Myles, soutenir qu’ils prenaient des vessies pour des lanternes.

Tout comme c’était insultant de voir Bev Priestman présenter ses excuses à tout le monde et affirmer, main sur le cœur, qu’espionner les équipes adverses ne représentait pas les valeurs que défendait son équipe.

À la décharge de Shoemaker et de Myles, il faut reconnaître qu’à courte vue, ils faisaient face à un dilemme cornélien. Les quelques 18 athlètes qui font partie de cette équipe ont déjà été amplement malmenées par leur fédération au cours des dernières années. L’idée de sauver temporairement les meubles pour ne pas ruiner leurs Jeux s’avérait sans doute très tentante.

Mais quand on regarde le portrait dans son ensemble, c’est la réputation canadienne qu’ils ont mise en jeu en faisant mine de croire au père Noël. À l’aube des cérémonies d’ouverture, les Canadiens passent donc pour des voyous dénués de valeurs.

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Mercredi, les renvois de l’analyste Joey Lombardi et de l’entraîneuse adjointe Jasmine Mander étaient à peine annoncés que des informations ont commencé à surgir à l’effet que le Canada trichait depuis plusieurs années en espionnant ses rivaux.

Beaucoup de gens se sont souvenus qu’en septembre 2021, l’équipe du Honduras avait stoppé une séance d’entraînement à Toronto parce qu’un drone survolait le terrain. Le Honduras se préparait alors à affronter le Canada dans un match de qualification de la Coupe du monde.

Une source a par ailleurs communiqué avec Radio-Canada Sports pour affirmer que ces images de la séance d’entraînement du Honduras avaient été présentées aux joueurs canadiens avant que le match soit disputé.

La même source a soutenu qu’à l’époque où John Herdman était aux commandes de l’équipe féminine, les joueuses avaient refusé de voir des images captées à l’entraînement d’une équipe adverse. Mais cela n’empêchait pas les entraîneurs d’utiliser ces informations, ajoutait-on.

John Herdman et Bev Priestman étant très proches depuis de nombreuses années (Priestman assistait aux écoles de soccer de Herdman quand elle avait sept ans) et le fait que Joey Lombardi faisait partie des équipes de soutien des deux sélectionneurs rendait ce partage des pratiques d’espionnage plausible.

Horrifié, l’un des plus honorables mentors du système sportif canadien a pour sa part comparé les pratiques des équipes nationales de soccer au système de dopage que la Russie avait mis sur pied avant les Jeux de Sotchi.

Disons que la fierté canadienne en prend pour son rhume.

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Le pire, c’est que cette histoire est loin d’être finie.

Canada Soccer a annoncé qu’une enquête avait été déclenchée pour faire la lumière sur les pratiques d’espionnage de ses équipes nationales. Ce sont toutefois les enquêtes de la FIFA et les réactions du CIO qui risquent de faire très mal.

Si les entraîneurs de l’équipe canadienne trichaient en filmant les entraînements des équipes adverses à Tokyo en 2021, les Canadiennes pourraient-elles se voir retirer leur médaille d’or?

Et comme le parcours ayant mené les Canadiennes jusqu’à Paris a été parsemé de pratiques douteuses, cette équipe a-t-elle encore sa place aux Jeux? Devrait-on renvoyer tout le monde?

Ces douloureuses questions seront sans doute abordées très rapidement.

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Enfin, il est extrêmement tentant de conclure que ce qui se passe à Paris n’est que la conséquence logique de la gouvernance déficiente qu’on a observée à Canada Soccer au cours des dernières années.

Quand le haut de la pyramide est médiocre et que les valeurs d’une organisation ne sont pas claires, ce qui percole vers le bas est rarement joli.

Cette organisation a conclu une entente commerciale hallucinante avec un organisme qui vampirisera ses finances jusqu’en 2037. Cela fait en sorte que les équipes nationales sont sous-financées. Au point où, en mai dernier, Canada Soccer a littéralement dû quêter pour embaucher le sélectionneur de l’équipe masculine, Jesse Marsch.

Cette crise financière, qui sent très mauvais, fait en sorte que la fédération est constamment à couteaux tirés avec ses athlètes, tant du côté des hommes que des femmes.

Les membres de l’équipe féminine ont récemment intenté une poursuite de 40 millions contre des membres du conseil d’administration de la fédération, qu’elles accusent d’avoir failli à leur devoir de fiduciaires des programmes nationaux.

Sans oublier le fait que les membres de l’équipe féminine ont dû lutter pour obtenir des conditions salariales et des budgets d’entraînement équivalents à ceux de l’équipe masculine.

Tout cela est d’une tristesse infinie.

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