« ROBERTO DURAN A FAIT LA JOB EN UNE PHRASE » - KIM CLAVEL

Pour Kim Clavel, le Panama était synonyme de deux choses : le fameux canal et Roberto Duran. Elle a vu le premier, tandis que le deuxième l'a accueillie chez lui. Histoire d'une improbable rencontre.

Retour en arrière. Le 13 janvier dernier, Kim Clavel échoue dans sa tentative d’unifier les ceintures IBF et WBA des super-mouches. La Mexicaine Yessica Nery Plata lui inflige sa première défaite.

Le choc est brutal et difficile à avaler. Devant les journalistes et les caméras, Clavel fond en larmes. Elle reconnaît qu’elle a été vaincue par une solide adversaire, mais sa fierté en a pris un coup.

Reculer pour mieux sauter. C’est l’intention que ses entraîneurs Danielle Bouchard et Stéphan Larouche ont en tête quand ils lui suggèrent de prendre une pause, une vraie, loin du ring et du gym.

C’est dans cet état d’esprit qu’elle choisit d’aller explorer le Costa Rica et le Panama, en solo.

Ce voyage-là, j'en avais vraiment besoin. J'avais besoin de décrocher, de sortir du gym de boxe, d'aller me retrouver moi, vraiment, explique-t-elle en précisant qu’elle attribuait son choix de destination à un film sur la vie de Roberto Duran, Hands of Stone (Les mains de pierre) qu’elle a découvert il y a trois ans et regardé une bonne dizaine de fois.

On voyait le vieux gymnase de boxe dans lequel il a commencé avec son premier entraîneur quand il était enfant. J'ai eu la chance d'aller le visiter. Là, dans le quartier El Chorillo. C'est vraiment le ghetto de Panama City. Tu ne peux pas aller là seule. Ça te prend un guide.

Boxeuse un jour, boxeuse toujours

La rencontre improvisée avec Roberto Duran a commencé à prendre forme 48 heures avant son retour à Montréal. Pour sa dernière journée au pays de Duran et du fameux canal comme son père le lui avait souligné avec son départ, Kim avait initialement réservé une place à bord d’une petite croisière vers l’île de Taboga.

La veille, j'ai rencontré une fille, une photographe professionnelle brésilienne, venue s'établir au Panama. J’ai accepté qu’elle fasse des photos de moi. En me voyant en camisole, elle a remarqué mes épaules musclées et m’a dit que je faisais sûrement du sport, raconte Clavel.

Kim lui révèle qu’elle est boxeuse. La conversation tourne vite autour de la pratique de ce sport. Une fois de plus, l’existence du vieux gymnase où Duran a donné ses premiers coups remonte à la surface.

Elle me dit alors que son meilleur ami organisait des excursions dans El Chorillo et qu’il serait possible d’aller visiter ce fameux gymnase. Il était 11 h le soir. Je me suis dit, non, je ne vais pas à l'île de Taboga.

Kim annule sa mini-croisière. Elle envoie un message texte à l’ami de la photographe. Cinq minutes plus tard, il lui donne rendez-vous dans Casco Viejo, le centre historique de Panama City.

Le gars avait vu mes photos sur Instagram. Il a vu que j'étais boxeuse. Il m’a dit : “amène tes gants de boxe parce qu'on va aller visiter le gymnase où Roberto Duran a commencé sa carrière”. J'avais mes gants avec moi. Je les emmène toujours au cas où le goût me viendrait de m'entraîner.

Kim l’a d’ailleurs fait au milieu de son séjour en se rendant au Gimnasio Pedro Rockero Alcazar.

L’homme avait regardé le combat entre Kim et Yessica Plata à la télévision. Il l’a aussitôt emmenée dans le gymnase en la tenant par le bras pour la présenter à tout le monde.

Une fois à l’intérieur, elle a été intégrée à un groupe de cinq ou six boxeurs pour participer à une séance d’entraînement.

Kim a ainsi pu faire un peu de boxe simulée ou encore frapper dans les mitaines des entraîneurs, tous plus curieux les uns que les autres devant les habiletés d’une championne du monde.

Quand les planètes s'alignent

C’est au pied de la statue équestre du Général Tomas de Herrera (1804-1854), ex-président de la République de la Nouvelle-Grenade qui regroupait la Colombie, le Panama et la côte des Mosquitos (aujourd'hui le Nicaragua), que Kim rejoint non pas celui qui avait choisi ce point de rencontre, mais un de ses amis qui le remplaçait au pied levé.

En petit groupe, elle a eu droit à une visite complète du quartier. S’exprimant bien en espagnol, elle a pu échanger avec les résidents, partager un repas et même prendre part à une partie de dominos avec certains d’entre eux.

Mais surtout, Kim était là pour voir de ses yeux le lieu mythique où tout avait commencé pour Roberto Duran.

C'est tellement un vieux gymnase. C'est basique. Il n’y a pas grand-chose. Il y a un ring, un vieux sac avec beaucoup de tape. Le sol est en asphalte. C’est sombre et humide, a indiqué Clavel en décrivant les lieux.

Je suis allée à plusieurs endroits connus dans le monde du sport. Je suis allé à Wimbledon, à Roland-Garros, sur le circuit automobile des 24 h du Mans. Chaque fois, on a une espèce d'impression qui nous envahit.

Ton âme ou les vieux esprits qui ont été là, ça te donne des frissons, c'est mystique. C'est comme si tu peux voir leur image. Tu peux t'imaginer ce qui s'est passé là. Tu peux imaginer Roberto Duran, ti-cul, qui s'entraînait là. La sueur. Je ne voulais plus partir de là, j'étais comme scotchée, là. Je ne voulais juste plus quitter ce gymnase-là.

Après mon dernier combat, j'ai vécu de la colère. C'est correct, il faut vivre nos émotions. Mais en rentrant dans ce gymnase-là, ça m'a fait réaliser que je suis à ma place dans un gymnase de boxe. C'est là où je suis bien. J'aime les athlètes, j'aime les coachs, j'aime ce qui s’y trame. Le travail que l'on fait dans un gym, c'est ça.

Il y avait deux entraîneurs. J'ai parlé un peu avec eux, on a pris des photos. Dire que Roberto Duran était passé par là! J'ai fait du shadow dans le même ring que lui. Je me disais que les bottes de Roberto Duran avaient foulé le même plancher. C'était spécial.

Quand les planètes s'alignent…

Le hasard a voulu que la mère de Christian, le guide de Kim pour sa visite du quartier d’El Chorillo, soit la meilleure amie d’une des tantes de Roberto Duran.

Il me dit : “Kim, je ne veux rien promettre, mais je vais essayer d'arranger quelque chose pour que tu puisses rencontrer Roberto Duran!” J’ai à peine eu le temps de retourner à mon AirBnB qu’il m’a écrit sur Whatsapp pour me dire de le rejoindre dès que possible dans un restaurant où Duran est un habitué.

Le cœur m’a fait deux tours! Je ne m'attendais à rien. Je ne voulais pas me faire de faux espoirs. Mais j'avais quasiment de la misère à respirer parce que je n’en revenais pas!

Je regarde mon téléphone, il me reste 3 % de batterie. Je n'ai pas le temps de le charger. Puis, j'ai mes gants de boxe, ceux que je portais pour mon combat contre Plata. Je veux que Roberto les signe, mais je n'ai pas de crayon à l’encre permanente.

Kim a alors couru vers le dépanneur le plus proche. Le propriétaire n’avait pas ce genre de crayon. Après lui avoir expliqué qu’elle se rendait à la rencontre de Roberto Duran, le monsieur a commencé à douter.

Kim lui a montré ses gants. Convaincu, mais peut-être encore un peu incrédule, il a fermé sa boutique pour l’accompagner vers un autre petit commerce où elle a trouvé ce qu’elle cherchait.

Elle a ensuite sauté dans une voiture Uber pour aller au rendez-vous.

Là, le cœur me débattait. Il me restait 2 % de batterie pour mon cellulaire. On frappe à la porte. Son neveu qui vient répondre. On rentre dans la maison de Roberto Duran. Je vois des photos partout, des photos avec les l'acteur qui jouait son rôle dans Hands of Stone.

Il y a des photos avec Sylvester Stallone, des photos de ses combats avec Sugar Ray Leonard, le temple de la renommée, toutes sortes de photos, c'est comme un musée. J'étais là, assise sur le sofa. Je ne savais pas trop comment réagir. On l'attendait. Il était en train de s'habiller dans sa chambre. Moi, j'attendais avec mes petits gants de boxe, comme si j’étais redevenue une enfant.

Là, je le vois arriver. Je suis comme essoufflée. Mais il est tellement sympathique que toute ma pression est redescendue. Il a fait une blague, il riait. Tu sais, il était bien. À 72 ans (il les fêtera le 16 juin), il était chez lui, dans ses affaires, dans sa zone de confort. J'ai eu l'impression de voir le vrai Roberto Duran. Il m'a pris par l'épaule, comme ça, content. Comme je parle un peu l’espagnol, ça m'a vraiment aidé à entrer en contact avec lui.

Tout de suite, on a pris les photos parce qu’il me restait juste 2 % de batterie. C'est lui qui a voulu faire le face-à-face comme ça, qu'on se regardait droit dans les yeux, puis c'était intimidant. Il y a les yeux noirs, noirs, noirs… On ne voit même pas sa pupille. C'est sombre! Puis son visage, il a fait quoi? 130 combats professionnels? Il a le nez tout plat. Les arcades sourcilières qui sont grosses. Et ses mains! Des mains de pierre. Là, j'ai compris en regardant ces palettes-là. Il n’est pas grand. Il fait peut-être 5 pi 6 po (1,67 m). Mon cellulaire est mort tout de suite après.

Pendant que Duran apposait sa signature sur les gants de Kim, elle lui a dit qu’elle le considérait comme le plus grand personnage du Panama. Qu’il était l’une de ses idoles et qu’elle se sentait privilégiée de pouvoir le rencontrer.

Elle a bien sûr évoqué avec lui son combat du 20 juin 1980 contre Sugar Ray Leonard, présenté devant plus de 45 000 spectateurs au stade olympique, qui n’avait toujours pas de toit à l’époque. À ce jour, cela demeure de très loin le plus grand événement de boxe que Montréal, le Québec et le Canada tout entiers aient connu.

Kim a ensuite senti le besoin de s’ouvrir et de se confier à son hôte. Les émotions la gagnent et la frappent encore de plein fouet quand elle raconte ce moment. Les larmes inondent son regard.

J'avais besoin de parler un petit peu. Je lui ai dit que je venais de perdre mon titre mondial. Ça faisait deux semaines, deux semaines et demie à ce moment-là. En le lui disant, j'ai eu une larme. J'en parle, ça me fait encore de l’effet, a-t-elle admis avec des trémolos dans la voix.

Ç’a tellement résonné en moi. C'est vrai. Il y a tellement de champions qui ont des défaites, mais qui sont aujourd'hui au temple de la renommée. Ce sont des boxeurs qui ont marqué l'histoire. Des boxeurs qui sont dans la mémoire des gens qui regardent.

Mohamed Ali en avait des défaites. George Foreman, les grands, Roberto Duran en avaient des défaites. On les compte sur les doigts d’une main, les boxeurs qui n’ont pas de défaites.

Canelo Alvarez a perdu contre Bivol. Il est devenu tellement meilleur après ça. Ce sont des gens qui ont fait des combats qui ont marqué l'histoire. Quand Roberto Duran me dit que ce n’est pas grave et qu’une défaite n’est pas la fin du monde. Qu’il va y en avoir d’autres… Un grand boxeur, ça ne se forme pas juste dans la victoire. Ça se crée dans les grands moments. C'est ça qu'il voulait me dire.

Cette rencontre inattendue avec l’un des plus grands combattants de l’histoire est arrivée à point nommé pour Kim Clavel.

J'ai passé à peu près 20 minutes chez lui parce qu'on ne voulait pas ambitionner non plus. Il était fatigué. À presque 72 ans, il est quand même plus âgé. En sortant, j'étais avec le gars qui m'a amenée là. Je l'ai remercié 1000 fois d'avoir organisé ça. Je me sentais invincible.

Je me sentais boostée d'énergie. Je sautais en me disant : “Je n'en reviens pas, je n'en reviens pas. Je l'ai rencontré!” Je regardais mes gants. Je pense que j’ai passé la journée à regarder mes gants parce que je l'ai vu les signer. Et ce sont les gants que je portais quand j'ai perdu contre Plata. Je ne les donnerai jamais. Je ne les vendrai jamais.

C'était la fête de mon père le 11 mars. Je l'ai emmené manger au resto. J’ai apporté mes gants de boxe. Je l'ai pris en photo. Il a aussi les photos de moi et de mon face-à-face avec Duran. Tous les matins quand il prend son café, les photos de moi et Roberto Duran sont là, sur sa table, a conclu Clavel, déjà occupée à préparer son prochain combat.

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