AYRTON SENNA, LA MéMOIRE OBLIGéE

Pour tout passionné de Formule 1, le 1er mai est une date à part. Chacun d'entre nous entretient avec cette journée un lien bien à lui. C'est aussi une histoire de générations. Il y a ceux qui ont réellement vu briller au sommet de son art, il y a ceux qui sont nés avec lui, et il y a ceux qui ne connaissent la légende que par les archives. Le plus fascinant, à n'en pas douter, c'est que le mythe du Brésilien touche ces trois catégories à sa manière. Un mythe intergénérationnel. 

Difficile de parler pour les autres, mais en ce jour du 30e anniversaire de la disparition du triple Champion du monde, nul doute que chacun ressent quelque chose. Peu importe de quoi il s'agisse. 

Ceux qui ont connu Senna sont forcément ceux qui en parlent le mieux, et les témoignages ne manquent pas pour s'imprégner de ce qu'il était, tout autant que percer une personnalité complexe. Pas question de s'exprimer à leur place. Ceux qui sont nés après le sombre week-end d'Imola ont "appris" Senna : de leurs parents, le plus souvent, mais aussi des livres (oui, ça existe encore et il n'y en a que trop à vous conseiller !), et des images. Et puis il y a les trentenaires d'aujourd’hui, cette génération "entre-deux". Permettez-moi de ne parler qu’au nom de celle à laquelle j'appartiens, mais sans vérité absolue. 

Chaque 1er mai se pose la même question : comment honorer le souvenir d'Ayrton Senna dans nos colonnes ? Paradoxalement, le sujet est vaste mais on a parfois le sentiment d'avoir tout dit, tout écrit, tout raconté. Il y a aussi une forme de devoir si ce n’est, n’ayons pas peur des mots, d'obligation à le faire. Parallèlement, réduire Ayrton Senna au jour anniversaire de sa mort n'est pas à la hauteur de l'empreinte qu'il laisse durablement sur la Formule 1. 

Si le 1er mai en Formule 1 est douloureusement associé à son souvenir, Ayrton Senna n'est pas le 1er mai. Et nos lecteurs, au moins inconsciemment, le savent. L'histoire du Brésilien est un fil rouge qui nous accompagne toute l'année et il suffit de se plonger dans la rubrique des articles historiques que nous vous proposons pour le retrouver sans surprise en tête des sujets abordés. 

Alors, en ce 30e anniversaire de sa mort, que faire ? On pourrait raconter encore et encore. On pourrait redonner la parole aux témoins du mythe. On pourrait rappeler les circonstances d'un funeste week-end à l’issue irrémédiable. Tout est déjà là, et il est important de le rappeler pour que s'abreuvent les générations qui se suivent de l'histoire de leur sport. La question n'est pas de savoir si cela suffit. Il y aura toujours ceux qui trouvent que l'on ne parle pas assez d'Ayrton Senna un 1er mai, à la veille d'un Grand Prix de Miami symbole d'une toute autre époque, et ceux qui pensent que l'on en fait trop. 

L'hommage à Ayrton Senna sur le circuit d'Imola.

Photo de: JEP / Motorsport Images

À titre personnel, cet anniversaire a finalement suscité une autre question : que cache cet hommage annuel, devenu parfois presque caricatural ? Il faut aller au-delà, dépasser les images, les slogans, les hashtags et les émojis. Ces manifestations superficielles mais pas insincères pour autant, derrière lesquelles il y a forcément quelque chose.

En tout début d'année, notre confrère Mark Gallagher avait, en quelques lignes, souligné le combat perpétuel que venait nous rappeler l'année 2024 : 30 ans après l'accident d'Ayrton Senna, 10 après celui de Jules Bianchi. Le plus terrible dans cette histoire, c'est que cet édito pourrait être celui qu'écriront plus tard ceux qui évoqueront la mémoire du Français en se posant la même question que celle qui m'anime aujourd’hui. Toutes proportions gardées.

Pour la génération qui a connu la fin d'Ayrton Senna de manière limpide mais qui peine à retrouver plus que des souvenirs flous de son génie en piste, la part mystique, déformant parfois la réalité, a façonné la perception générale. Quand on a 8 ans devant sa télévision, voir mourir aussi brutalement une star en quasi direct (TF1 était en coupure publicitaire à l'instant du crash) devrait normalement inciter à fuir et à éprouver une forme de rejet. Et pourtant, nombreux sont ceux qui ont vu Ayrton Senna se tuer et sont tombés éperdument amoureux de la Formule 1. Irrationnel.

Parce que le 1er mai 1994 est aussi l'acte de naissance de la sécurité telle qu'on la définit encore en sport automobile aujourd'hui, celle du "Plus jamais ça". Celle que l’on a cru capable d'écarter définitivement le scénario du pire, celle qui a bercé un long moment cette génération dans la conviction que le drame d'Imola ne pouvait qu'appartenir au passé. Celle qui a sauvé tant de vies, jusqu'à ce que la fatalité frappe de nouveau, à Suzuka vingt ans plus tard.

C'est ici que mon interrogation a trouvé sa réponse, personnelle et non universelle : au moment de commémorer ce 30e anniversaire, émergent les progrès incroyables réalisés en trois décennies, conjugués à une peur qu'il ne faut pas renier. La peur de voir l'histoire bégayer. Cette peur qui force à faire mieux chaque jour pour la sécurité, à toujours tout remettre en question. Une peur salvatrice. 

Si nul ou presque n’y est insensible, chacun a son rapport à Ayrton Senna : héros de toute une nation, virtuose du volant, personnage clivant, ennemi juré d'Alain Prost, figure populaire, et tant d'autres encore... Sans jugement, mais avec une évidence commune : Sempre Senna.  

Ayrton Senna dans ses œuvres à Monaco.

Photo de: Rainer W. Schlegelmilch / Motorsport Images

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